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Le correspondant de l’AFP au Vatican décrypte avec finesse les défis qui attendent Léon XIV. Entre analyse politique et observation humaine, portrait d’un pape qui devra naviguer en eaux troubles.
Il a cette voix posée des journalistes qui en ont vu d’autres. Jean-Louis de La Vaissière, correspondant de l’Agence France-Presse au Vatican, a couvert suffisamment de papes pour garder la tête froide. Pourtant, même lui avoue avoir été touché. « Une très belle impression de quelqu’un de très humain, de très digne », commence-t-il, presque malgré lui.
« Il était ému. » Trois mots qui en disent long. Jean-Louis de La Vaissière, habitué aux mises en scène vaticanes, a su capter l’authenticité du moment. Ce nouveau pape qui apparaît au balcon, ce n’est pas qu’un acteur jouant son rôle. C’est un homme bouleversé par ce qui lui arrive.
« Il avait soigné son texte, il l’avait préparé à l’avance, ce qui n’est pas toujours le cas », note le journaliste avec cette précision d’entomologiste. Comprenez : François improvisait souvent, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Léon XIV, lui, est minutieux.
Et cette comparaison qui surgit naturellement : « Sans doute quelqu’un de plus réservé que François, qui rappelle un peu Benoît XVI par le côté réserve. » Jean-Louis de La Vaissière ne juge pas. Il observe. Il analyse. Il compare.
Mais là où le vaticaniste devient vraiment passionnant, c’est quand il aborde le terrain politique. « La grande difficulté, c’est qu’il va être surveillé par Donald Trump et son administration », lâche-t-il sans détour.
Voilà le paradoxe : un pape américain face à une administration américaine qui ne lui ressemble en rien. « Tout ce qu’il dira ne sera pas forcément bien perçu », prévient Jean-Louis de La Vaissière. « Il faudra qu’il garde ses distances, qu’il résiste aux provocations. »
Le journaliste connaît son sujet. « L’administration Trump, on l’a vu depuis deux mois, ils adorent les provocations, les flèches. » Et cette mise en garde : « Il s’agira de ne pas entrer dans leur jeu. »
Ce qui fascine Jean-Louis de La Vaissière, c’est justement ce décalage. « C’est très intéressant qu’un Américain, mais un Américain qui n’est pas dans l’orbite de Trump, un Américain très social, très ouvert aux peuples pauvres, soit à la tête de l’Église. »
On sent presque le sourire dans sa voix. Comme si l’Histoire avait un sens de l’humour. Un pape américain au moment où l’Amérique de Trump domine les headlines. Mais un pape qui incarne tout ce que cette Amérique-là rejette.
Jean-Louis de La Vaissière prédit un style différent de celui de François. « Il va moins parler, il va plus préparer ses interventions. » Fini les sorties improvisées dans l’avion papal qui faisaient les gros titres (et parfois les polémiques). Place à une communication plus maîtrisée.
« Il va avoir des actions assez discrètes, secrètes peut-être, pour faire avancer les choses sur le plan de la paix, du développement », analyse le journaliste. La diplomatie de l’ombre plutôt que les coups d’éclat médiatiques.
Et puis il y a ce dossier épineux : la curie romaine. François l’avait bousculée, réformée, parfois malmenée. « La réforme a été imposée brusquement en 2022 », rappelle Jean-Louis de La Vaissière. « Beaucoup de chefs de dicastère ont été pris de court. Ça a été très mal perçu. »
Léon XIV devra gérer cet héritage. « Il devra faire preuve de diplomatie pour apaiser les choses », prédit le journaliste. Heureusement, l’homme connaît la maison. « C’est une de ses forces, sans doute une des raisons pour lesquelles il a été élu : il connaît très bien l’appareil de la curie. »
Le portrait que dresse Jean-Louis de La Vaissière est nuancé. Ni rupture totale avec François, ni continuité servile. « Il va poursuivre l’œuvre du pape François », prédit-il, citant l’évangélisation, la démarche synodale. Mais avec sa propre méthode.
« François avait une manière de faire très brusque », rappelle le journaliste. « Il n’aimait vraiment pas ce carriérisme, ces bavardages de couloir. » Léon XIV, lui, « devra arrondir les angles ».
Quand Jean-Louis de La Vaissière énumère les défis, on mesure l’ampleur de la tâche. La réévangélisation d’un Occident désabusé. La poursuite de la démarche synodale (« certains au conclave étaient hostiles et voulaient la freiner »). Le rôle du Saint-Siège dans un monde en guerre.
« Que le pape ait une voix forte à travers le monde », résume-t-il. Mais une voix qui ne soit pas « destructive ». Une voix « assez sage ». Facile à dire, moins facile à faire quand les conflits se multiplient et que les provocations fusent.
Ce qui est frappant chez Jean-Louis de La Vaissière, c’est cette capacité à garder la distance sans perdre l’empathie. Il a vu passer les papes, analysé leurs forces et leurs faiblesses, couvert leurs succès et leurs échecs.
Pour François, il avait même écrit trois livres. Des titres qui disent tout : « De Benoît à François, une révolution tranquille », « François, un combat pour la joie », « François dans la tempête ».
Alors forcément, quand on lui demande ce qu’il retient de François, l’émotion perce sous l’analyse. « Je sentais une certaine gravité dans son regard, une certaine tristesse pour les malheurs du monde. » Et puis : « C’était un homme de temps en temps en colère parce qu’il était révolté. »
Avec Léon XIV, Jean-Louis de La Vaissière sent qu’une nouvelle page s’ouvre. Ni meilleure ni pire que la précédente. Différente. Un pape qui devra composer avec Trump, apaiser la curie, maintenir le cap des réformes tout en évitant les tempêtes.
« Une de ses grandes difficultés, c’est qu’il va être surveillé », répète le journaliste. Mais il ajoute, presque optimiste : « C’est formidable d’avoir un pape qui connaît très bien l’appareil. »
Jean-Louis de La Vaissière ne fait pas de pronostics. Il observe. Il analyse. Il attend de voir. Mais dans son témoignage mesuré transparaît cette conviction : Léon XIV a les cartes en main. Reste à savoir comment il va les jouer.
Et ça, même un vaticaniste chevronné ne peut le prédire.
Écrit par: Simon Marty