Conclave 2025

Deux experts décryptent les enjeux de l’élection papale

today6 mai 2025 31

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Le monde catholique retient son souffle. Alors que 133 cardinaux électeurs s’apprêtent à entrer dans la chapelle Sixtine, Radio Fidélité a réuni deux experts pour décrypter les coulisses de cette élection historique. Comment comprendre les dynamiques invisibles qui façonneront le prochain pontificat ? Quels défis attendent le successeur de François ? Plongée au cœur des enjeux avec Alexandre Kubala et Michel Cool.

Alexandre Cubala : La diplomatie vaticane au service des chrétiens

Fin connaisseur des rouages du Saint-Siège, Alexandre Kubala apporte un éclairage précieux sur l’appareil diplomatique du plus petit État du monde. Selon lui, la première mission de la diplomatie pontificale reste invariablement « la protection des minorités chrétiennes » à travers le globe.

« La protection des minorités chrétiennes, c’est la première mission de la diplomatie pontificale, » affirme-t-il. Cette préoccupation prend une dimension particulière dans des pays comme la Syrie, où la communauté chrétienne a bénéficié d’une relative protection sous le régime de Bachar al-Assad.

Contrairement aux chancelleries occidentales qui avaient rompu leurs relations avec Damas, le Vatican y a maintenu sa présence. « Le Vatican ne rejette jamais personne parce qu’il promeut le dialogue, envers et contre tout, » explique Kubala. Cette approche a permis de préserver un canal de communication essentiel pour les chrétiens locaux.

Le soft power comme unique levier d’influence

Comment un État de 44 hectares, sans armée significative ni puissance économique, parvient-il à exercer une influence mondiale ? Pour Alexandre Kubala, toute la force du Vatican repose sur son « soft power ». « Toute la puissance du Saint-Siège, c’est du soft power, » souligne-t-il, en contraste avec le « hard power » traditionnel des États nations.

Les voyages pontificaux constituent l’expression la plus visible de cette influence. Kubala distingue deux dimensions à ces déplacements : une dimension pastorale, prioritaire, et une dimension diplomatique ou géopolitique plus secondaire. Il cite le voyage du pape François en Irak, où sa visite des ruines de villes conquises par l’État islamique portait un message fort sur « la liberté de religion, le dialogue et la paix » face à la radicalité.

L’équilibre géopolitique du collège cardinalice

L’internationalisation du collège des cardinaux sous François reflète-t-elle les nouvelles réalités démographiques de l’Église ? Oui, mais avec des nuances importantes, selon Kubala. « Il y a une vraie internationalisation du collège cardinaliste. C’est certain et en même temps, c’était inévitable dans la mesure où aujourd’hui la majorité des chrétiens, elle n’est plus en Europe, elle est en Amérique latine et en Afrique. »

Pourtant, cette évolution reste incomplète : « 48% des chrétiens aujourd’hui sont latino-américains, alors que le collège cardinaliste ne compte que 10% de latino-américains. » L’Europe, et particulièrement l’Italie, conserve une influence disproportionnée tant dans le collège cardinalice que dans l’appareil diplomatique.

Michel Cool : L’héritage de François à l’épreuve

Auteur du livre « François l’anticonformiste », Michel Cool offre un regard complémentaire sur le bilan du pontificat qui s’achève et les défis qui attendent son successeur.

Un style personnel parfois déstabilisant

Le journaliste note que François a marqué son pontificat par « une manière très personnelle de participer à la vie internationale ». Sa communication directe, parfois abrupte, a pu déstabiliser comme lors de sa suggestion controversée pour « les Ukrainiens de hisser le drapeau blanc » afin de négocier.

Le prochain pape pourrait revenir à « une géopolitique Vaticane un peu plus posée » tout en maintenant la capacité « de parler, de discuter avec un Trump, avec un Poutine ou avec un Macron », estime Cool. Un équilibre délicat à trouver.

L’écologie : un héritage à préserver

Parmi les legs importants de François, Michel Cool cite l’engagement écologique concrétisé par l’encyclique Laudato Si’. « François a marqué de sa pâte véritablement l’écologie comme étant un thème majeur de son pontificat, » rappelle-t-il.

Pour le journaliste, cet héritage doit être préservé : « Il faut espérer que le successeur de François, qui est le successeur de Pierre, poursuive dans cette voie de la préoccupation écologique de l’église. » Cool souligne l’impact considérable de cette orientation, ayant fait naître « quasiment une génération François sur cette question. »

Réformes inachevées et tensions internes

Les relations entre François et la Curie romaine ont souvent été tendues. « C’est un secret pour personne que les relations entre le pape François et la Curie, c’était ‘je t’aime moi non plus’, » révèle Michel Cool. François « n’a jamais aimé l’ambiance feutrée de la Curie » et certaines réformes ont été « exécutées un peu à l’arrache. »

Le prochain pape devra donc « venir avec de l’huile de coude » pour « recoller un peu les morceaux entre l’autorité pontificale et les différents dicastères. » Un paradoxe pour un pontificat qui a tant promu la synodalité mais n’a pas toujours su l’appliquer en interne.

Équilibre entre doctrine et pastorale

L’un des succès de François, selon Cool, a été de trouver un équilibre entre doctrine et pastorale. « On l’a souvent critiqué en disant qu’il minimise la doctrine et valorise la pastorale, » mais c’était « un faux procès. » François a réussi à concilier « la doctrine qui est d’une certaine manière la boussole qui indique un idéal » avec « la pastorale qui est une prise en compte du réel, de la réalité des situations. »

Les défis du prochain pontificat

Les deux experts s’accordent sur plusieurs défis majeurs pour le successeur de François :

Rendre audible l’anthropologie chrétienne

Pour Michel Cool, un enjeu fondamental sera de « rendre à nouveau audible l’anthropologie chrétienne » dans des « sociétés plurielles, pluralistes. » Comment formuler différemment la conception chrétienne « de la vie, de l’homme, de la mort, de l’amour » pour qu’elle puisse « à nouveau intéresser » sans être caricaturée ?

La place des femmes dans l’Église

François a fait avancer les choses « notamment par des nominations de femmes, de religieuses à des postes importants de la curie romaine, » reconnaît Cool. Des avancées comme la participation et le vote des femmes aux synodes représentent « une étape importante dans cette féminisation de l’église qui est souhaitable. »

Cependant, sur d’autres sujets comme le diaconat féminin, François a « freiné des quatre fers. » Pour l’avenir, Cool espère davantage de progrès, rappelant que « les piliers majeurs de l’église, ce sont souvent les femmes qui œuvrent dans les paroisses, dans les communautés, dans les diocèses. »

Relations avec le monde musulman

Alexandre Kubala rappelle que le pontificat de François a été marqué par « une vraie volonté de tendre la main et de mener un dialogue interreligieux avec le monde musulman, » notamment après les tensions héritées du discours de Ratisbonne sous Benoît XVI.

François a mené « un dialogue très fourni avec le monde musulman, » se rendant notamment aux Émirats arabes unis et signant avec le recteur de la mosquée d’Al-Azhar un document sur « la fraternité humaine. » Un travail de réconciliation à poursuivre.

Une Église à la croisée des chemins

À l’heure où les cardinaux s’apprêtent à choisir celui qui guidera l’Église catholique dans un monde en mutation, les analyses d’Alexandre Kubala et Michel Cool éclairent les enjeux complexes de cette succession. Entre fidélité à l’héritage de François et besoin de renouveau, entre tradition et ouverture au monde, le prochain pape devra naviguer dans des eaux tumultueuses.

Le conclave qui s’ouvre ne choisira pas seulement un homme, mais une orientation pour l’avenir de l’Église catholique. Dans quelques jours, la fumée blanche s’élevant au-dessus de Rome annoncera au monde ce nouveau chapitre de l’histoire chrétienne.

Écrit par: Simon Marty

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