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L'invité(e) de la matinale

"Redonner le goût de la lecture dès le plus jeune âge" : Valérie d'Aubigny, conférencière AFC de Nantes

micRadio Fidélitétoday3 décembre 2025 7

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    "Redonner le goût de la lecture dès le plus jeune âge" : Valérie d'Aubigny, conférencière AFC de Nantes Radio Fidélité


Quand nos ados préfèrent scroller plutôt que lire : faut-il s’alarmer ?

Le grand décrochage commence au collège

Les statistiques du Centre national du livre font froid dans le dos. 109 minutes de lecture quotidienne pour les 7-19 ans, et seulement 12 minutes pour les 16-19 ans. Valérie d’Aubigny, spécialiste de la littérature jeunesse qui interviendra ce jeudi 4 décembre à l’école Sainte-Catherine de Sienne à Nantes, refuse pourtant de céder au désespoir. « Ces chiffres pourraient nous plonger dans le découragement, mais je pense qu’au contraire, ce sont des défis à relever. »

Le problème commence bien avant qu’on ne l’imagine. Dès l’apprentissage de la lecture, en fait. « Il y a des collégiens qui arrivent en sixième, cinquième, quatrième et qui ne savent pas vraiment lire, » explique Valérie. Ils déchiffrent, certes, mais ne saisissent pas le sens global d’une phrase. Ses amis professeurs de matières scientifiques le confirment : même les énoncés de mathématiques ou de physique posent problème. Et pourtant, dans ces disciplines, chaque mot compte.

Les garçons décrochent en premier

La cinquième. C’est le moment charnière identifié par les états généraux du livre à Paris. L’âge où tout bascule. Et ce sont les garçons qui lâchent les premiers. « Ils ont peut-être besoin de ces plaisirs immédiats qu’on trouve plus vite sur les écrans, » observe Valérie d’Aubigny. Les filles tiennent un peu plus longtemps, portées par une littérature féminine en vogue, même si celle-ci ne comporte pas toujours « que du bon et du beau. »

Cette féminisation de la lecture n’est pas qu’un préjugé. C’est une réalité documentée qui pose question. Comment réconcilier les garçons avec les livres quand tout semble les en éloigner ? La réponse existe pourtant : « Il y a une très belle littérature pour les garçons, » assure Valérie. Encore faut-il la trouver, la proposer, la mettre entre leurs mains.

Quand la littérature jeunesse devient militante

Féminisme revendiqué, héroïnes fortes, violences sexuelles, questions de genre, homosexualité, neurodivergence, écologie… La littérature jeunesse actuelle ne manque pas de causes à défendre. Mais est-ce vraiment ce que les jeunes attendent d’un roman ?

« Au lieu d’exalter la spécificité féminine, l’âme féminine forte et essentielle, on entre toujours par la petite porte, » regrette Valérie d’Aubigny. L’écologie ? « C’est grand, c’est beau, c’est fondamental, » mais en littérature jeunesse, on y entre par « des conventions d’aujourd’hui. » Le résultat ? Des jeunes qui rendent les livres en disant : « J’en ai ras-le-bol qu’on m’envoie les messages que je reçois déjà tout le temps à l’école, dans la pub, dans les séries. »

Cette omniprésence idéologique crée un effet pervers. Elle éloigne des familles entières des bibliothèques, jugées trop militantes. Elle détourne de la création contemporaine où « le pire côtoie le meilleur. » Et paradoxalement, elle nourrit la méfiance : certains parents craignent que ces livres n’influencent trop leurs ados, comme si la lecture pouvait déclencher quelque chose chez eux.

Sexualité et intimité : jusqu’où aller ?

Voilà un sujet qui fâche. Sous prétexte d’informer, certains romans jeunesse placent dans l’esprit d’enfants « parfois très jeunes » des images correspondant à « des sexualités adultes parfois troubles. » Une ligne rouge franchie ? Valérie d’Aubigny le pense. « En touchant des choses très intimes, une grande partie de la création contemporaine est arrivée à une impasse. »

Cette surenchère thématique pourrait bien provoquer un retour de balancier. « Je sens déjà qu’une partie de la population va en avoir la nausée, » prédit-elle. Les signes avant-coureurs existent : le roman d’aventure commence à repointer le bout de son nez, l’épopée revient timidement, les belles figures historiques suscitent un nouvel engouement.

Le livre comme trésor singulier

Alors, le livre a-t-il encore un avenir face aux réseaux sociaux, à l’intelligence artificielle, au streaming et aux jeux vidéo ? Valérie d’Aubigny en est convaincue. Le livre va revêtir « une valeur trésor. » Pourquoi ? Parce qu’il offre quelque chose d’unique : une expérience sans image imposée, où ce sont nos propres représentations qui se créent.

« On ne reçoit plus rien par les yeux, les oreilles. On est concentré sur des lettres, des mots, des phrases qui nous emmènent très loin de nous. » Cette singularité, cette capacité à générer nos propres images mentales, voilà ce qui distinguera toujours la lecture des autres formes de narration. « Je suis peut-être idéaliste, mais j’y crois, » avoue-t-elle avec une franchise désarmante.

Commencer par se regarder dans le miroir

Avant de pointer du doigt nos enfants scotchés à leurs écrans, Valérie d’Aubigny nous invite à un exercice d’introspection. « Demandons-nous combien de temps nous passons avec un livre entre les mains dans la journée. » Aïe. Ça fait mal, n’est-ce pas ?

Les enfants nous regardent vivre. Des parents qui ne lisent pas ne doivent pas s’étonner de ne jamais voir de livre entre les mains de leurs enfants. « C’est une ambiance, » insiste-t-elle. La lecture, c’est d’abord un exemple qu’on donne, une atmosphère qu’on crée à la maison. Pas un discours moralisateur qu’on assène.

Créer des rituels chaleureux

Décembre, avec ses journées courtes et ses soirées longues, offre le cadre parfait pour instaurer de nouveaux rituels familiaux. « Quelque chose d’intime, de chaleureux, de beau, » suggère Valérie. Pas question de forcer, de contraindre. Il s’agit plutôt d’avancer « par petites gorgées, » de créer une ambiance propice avec des lumières douces, un moment privilégié.

Lire à voix haute, par exemple. Partager un conte. Découvrir ensemble un classique magnifiquement illustré. « L’homme qui plantait des arbres » illustré par Olivier Desvaux ? Voilà un « livre passeur » entre les générations, qui se lit assez vite et réconcilie tout le monde avec la beauté des mots.

S’intéresser vraiment à leurs lectures

Faut-il lire les romans ados de nos enfants ? Absolument, répond Valérie d’Aubigny Même quand ça nous déroute, même quand l’univers de fantasy nous échappe complètement, même quand l’atmosphère nous semble trop sombre. « Faire l’effort de discuter, voir les forces et faiblesses d’un livre, ne pas imposer notre point de vue de manière abrupte. »

Questionner plutôt qu’interdire. « Qu’est-ce qui te plaît exactement dans ce livre ? Qu’est-ce qui t’attire ? » Cette curiosité bienveillante maintient le dialogue, montre notre confiance. Et la confiance, rappelle Valérie, c’est « une clé d’éducation. » Peut-être même la plus importante.

Relire les œuvres classiques données à l’école permet aussi de partager un terrain commun. Ces livres « plongent parfois les familles dans des gouffres de mystère, » reconnaît-elle avec humour. Raison de plus pour s’y intéresser, pour pouvoir en discuter, pour prendre du recul ensemble sur certaines situations.

Le défi n’est pas que pour les enfants

Finalement, ce grand décrochage de la lecture révèle peut-être quelque chose de plus profond. Une société entière qui a perdu le goût de la lenteur, de la concentration, de l’effort gratuit. Les écrans offrent des récompenses immédiates, des stimulations constantes. Le livre, lui, demande de la patience.

Mais cette patience récompense autrement. Plus profondément. Plus durablement. Et c’est ce message-là qu’il faut transmettre, pas en sermonnant, mais en vivant. En montrant que oui, dans ce monde hyperconnecté, il reste de la place pour le silence d’une page qui se tourne.

Les 109 minutes quotidiennes de lecture des 7-19 ans peuvent sembler dérisoires face aux 3 heures d’écran. Mais elles représentent aussi 109 minutes où l’imagination travaille, où la langue s’enrichit, où d’autres mondes s’ouvrent. 109 minutes qui valent peut-être bien plus que leur durée.


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