Quand la gauche radicale tangue mais ne coule pas
On ne va pas se mentir : la France insoumise nantaise a connu des jours meilleurs. L’affaire Andy Kerbrat – députée prise en flagrant délit d’achat de drogue – a fait les gros titres. Marina Ferreruela, initialement pressenti aux côtés de William Aucant, a été écartée. Les cartes ont été rebattues, les militants ont dû digérer. Bref, pas vraiment le scénario idéal pour aborder une campagne municipale.
Pourtant, William Aucant affiche une sérénité presque déconcertante. « On a eu des ajustements de début de parcours, c’est tout à fait normal », lâche-t-il avec un calme qui contraste avec l’agitation récente. Les premiers tracts sont sortis, le binôme avec Erika Cardesah se stabilise, et l’équipe arpente déjà les marchés nantais. Comme si de rien n’était ? Pas exactement. Plutôt comme si ces turbulences n’étaient qu’un hoquet passager dans une campagne qui se veut résolument tournée vers l’avenir.
Face à Johanna Roland, maire sortante réélue en 2020 et soutenue par les écologistes, la partie s’annonce rude. D’autant que la maire a clairement fait savoir qu’elle ne souhaitait pas d’alliance avec les insoumis. Message reçu cinq sur cinq.
Le programme de la rupture, concrètement ?
William Aucant n’y va pas par quatre chemins. Trente ans de gestion socialiste ? Terminé. Huit ans de macronisme national qui ruissellent jusqu’au local ? Fini. Son diagnostic est sans appel : « Nous sommes dans une impasse budgétaire avec plus de 3 000 milliards de dettes nationales, et une impasse démocratique avec un premier ministre illégitime. »
Le conseiller régional insiste : là où Johanna Roland propose de la continuité, lui apporte 650 propositions concrètes. Oui, vous avez bien lu. 650. De quoi donner le tournis, mais aussi de quoi répondre – en théorie du moins – à chaque problématique nantaise. Vie chère, discriminations, logement, culture… Le programme insoumis ratisse large.
Mais peut-on vraiment financer tout ça dans un contexte d’austérité ? William Aucant renverse la question. Pour lui, l’instabilité financière actuelle découle directement de huit années de macronisme. « Michel Barnier a demandé 5 milliards d’efforts aux collectivités l’année dernière », rappelle-t-il. Et pendant ce temps ? « 80 milliards de fraude fiscale, 210 milliards de cadeaux aux entreprises… » Son calcul est simple : avant de serrer la vis aux collectivités, qu’on commence par récupérer l’argent qui file entre les doigts de l’État.
Le logement d’abord, la bétonisation jamais
Architecte urbaniste de formation, William Aucant parle aménagement du territoire avec l’aisance d’un professionnel qui a passé des années sur le terrain. Son cheval de bataille ? Faire passer la métropole de 25% à 35% de logements sociaux. Ambitieux, surtout quand on sait que le budget se resserre et que les terrains disponibles se font rares.
Sa réponse tient en une formule : « Faire la ville sur la ville. » Pas question d’artificialiser un hectare de plus de terres agricoles. « Je constate sous le mandat de Johanna Roland que les terres agricoles autour de la métropole sont largement grignotées », observe-t-il avec une pointe de reproche. Son plan ? Construire sur les friches existantes, rénover les bâtiments, les surélever si nécessaire. Bref, optimiser l’existant plutôt que de grignoter la campagne environnante.
Il propose également la création d’un « bureau du mètre carré » – une structure dédiée à identifier les terrains sous-utilisés et faciliter les permutations de logements. Une idée qui peut sembler technocratique, mais qui répond à une réalité : la crise du logement nantais ne se résoudra pas en claquant des doigts.
« Il y a une crise du logement à Nantes et il faut l’attaquer à bras-le-corps », martèle-t-il. Le droit au logement comme priorité absolue. Pas seulement un slogan de campagne, mais un engagement qu’il compte bien graver dans le marbre municipal.
La culture, ce n’est pas que pour le centre-ville
Voilà un sujet qui fait bondir William Aucant. 107 millions d’euros sur 38 millions de budget culturel investis dans le centre-ville. Pendant ce temps, les quartiers populaires regardent passer les touristes sans vraiment profiter du rayonnement culturel nantais. « Aujourd’hui, Nantes est une ville vitrine », déplore-t-il.
Son constat est sévère mais argumenté : la région Pays de la Loire, sous la présidence de Christelle Morançais, a taillé dans les budgets culturels. « Les premiers budgets sacrifiés », précise-t-il. Et si Foulque Chambardelot, candidat de droite, l’emportait ? William Aucant ne cache pas son inquiétude : « Ça m’effraie, l’arrivée potentielle de Foulque Chambardelot. C’est dans la même trajectoire que Christelle Morançais. »
La culture, pour lui, n’est pas un luxe mais un droit fondamental. « Dans cette période d’austérité où tout est morose, tout ne doit pas se centrer sur le métro-boulot-dodo », insiste-t-il. Sa proposition ? Transformer le Voyage à Nantes en Voyage dans Nantes. Faire circuler les œuvres dans les quartiers, installer des musées hors du centre, créer cet « échelon de proximité » qui manque cruellement.
« On a besoin de cette évasion », dit-il. Et il a peut-être raison. Quand on vit dans un quartier populaire, avoir accès à la culture sans prendre trois bus pour rejoindre le centre, ça change la donne.
Une approche polycentrique contre la ville-étoile
Le candidat insoumis oppose deux visions de l’urbanisme. D’un côté, le modèle actuel : une ville-centre qui rayonne en étoile, attirant touristes et investissements vers le cœur historique. De l’autre, sa vision polycentrique : plusieurs centres, plusieurs pôles de vie, une redistribution des ressources et des équipements.
« Nous voulons remettre les quartiers au cœur », répète-t-il. Pas seulement par des mots, mais par des actes concrets. Lors de leurs porte-à-porte dans les quartiers populaires, les militants insoumis entendent toujours les mêmes complaintes : « Les agents ne passent plus, les poubelles ne sont pas sorties, les bailleurs sociaux ne font pas leur travail de mise en conformité des logements. » Un sentiment d’abandon qui nourrit la colère et, parfois, l’abstention.
William Aucant en fait son argument massue : « Le conseil municipal n’a pas encore les préoccupations qui concernent les électeurs que nous allons voir au plus près dans nos porte-à-porte. » Une façon polie de dire que les élus actuels sont déconnectés des réalités du terrain.
Le binôme Aucant-Cardesah : mariage de raison ou vraie dynamique ?
On ne peut pas éluder la question. Les rumeurs de tensions au sein du binôme Aucant-Cardesah ont circulé. Interrogé sur le sujet, William Aucant botte en touche avec diplomatie : « On peut commenter des rumeurs, mais on peut aussi parler des faits. » Les faits ? « Nous faisons campagne chaque jour, nous travaillons ensemble côte à côte dans les quartiers. »
Reste à savoir si cette collaboration forcée par les circonstances se transformera en véritable tandem. « Comme tout binôme politique récent, nous construisons une ligne qui est commune et exigeante », précise-t-il. Une réponse qui laisse transparaître les efforts nécessaires pour harmoniser deux personnalités, deux parcours, deux visions peut-être pas toujours alignées.
Mais William Aucant veut tourner la page des turbulences internes. « Nous sommes pleinement engagés tous les deux », assure-t-il. Le temps dira si cette promesse résiste à l’épreuve d’une campagne qui s’annonce rude.
L’union populaire, un appel à la société civile
La France insoumise nantaise ne compte pas mener cette bataille seule. William Aucant lance un appel à « toutes les forces de rupture » : militants associatifs, syndicalistes, citoyens engagés. « La méthode de la France insoumise, c’est l’Union populaire », rappelle-t-il. Un concept qui dépasse les étiquettes partisanes pour rassembler autour d’un projet commun.
« Je pense aujourd’hui que la France insoumise n’est pas seule à réclamer cette rupture », souligne-t-il. Une main tendue à tous ceux qui, à gauche ou dans la société civile, ne se reconnaissent plus dans la gestion actuelle. Une stratégie qui peut payer si elle parvient à mobiliser au-delà du noyau dur des militants.
Mais elle comporte aussi un risque : celui de la dispersion, de la cacophonie, d’une liste trop hétéroclite pour porter une vision cohérente. William Aucant semble conscient de cet équilibre délicat : « Nous avons besoin de nouvelles idées et clairement, la France insoumise en tête apporte des nouvelles idées. » Le message est clair : oui à l’ouverture, mais avec la France insoumise aux commandes.
Mars 2026 : rendez-vous avec l’Histoire ?
À l’échelle nantaise, ces municipales représentent bien plus qu’un simple scrutin local. Elles incarnent un choix de société. Continuité ou rupture ? Centralisation ou polycentrisme ? Ville-vitrine ou ville-archipel ?
William Aucant se pose en candidat de la rupture assumée. Face à Johanna Roland qui capitalise sur huit années de mandat et le soutien écologiste, face à Foulque Chambardelot qui tente de reconquérir la mairie pour la droite, il incarne cette gauche radicale qui refuse les compromis et les alliances de façade.
Son pari ? Que les Nantais, lassés d’une gestion qu’il juge trop centrée sur le rayonnement extérieur, aspirent à un changement profond. Que les quartiers populaires, trop longtemps négligés selon lui, se mobilisent massivement. Que la culture redevienne un bien commun accessible à tous, pas seulement aux touristes et aux bobos du centre-ville.
Un pari risqué dans une ville où le Parti socialiste règne depuis trois décennies. Mais William Aucant n’est pas du genre à calculer ses chances avant de se lancer. « Nous mesurons l’attente qu’il y a parmi la population d’avoir une liste France insoumise ici à Nantes », affirme-t-il avec conviction.
Les prochains mois diront si cette attente existe vraiment, ou si elle relève davantage d’un vœu pieux de candidat volontariste.