play_arrow
Mobilisation pour la Journée internationale des migrants avec Caroline Saint-Bonnet, coordinatrice de JRS Radio Fidélité
152 000 personnes. C’est le solde migratoire positif de la France en 2024. Sans ces arrivées, notre population stagnerait. L’Institut national d’études démographiques l’a publié hier, à l’occasion de la Journée internationale des migrants. Un chiffre qui tombe comme un pavé dans la mare des débats actuels.
Caroline Saint Bonnet, coordinatrice de Jesuite Refugee Service (JRS), était l’invitée de l’émission ce matin. Elle rappelle d’emblée que « ça fait bien longtemps que d’autres pays et même dans notre propre histoire nationale, on sait que c’est une richesse ». L’Allemagne l’a bien compris, qui a ouvert ses portes pour des raisons pragmatiques. Mais voilà, quand on parle de migration, on mélange souvent tout. Les profils sont variés, multiples. Caroline préfère se concentrer sur une catégorie bien spécifique : les personnes exilées, déplacées de force, les demandeurs d’asile.
Partout en Europe, le vent tourne. Les hubs de retour, ces centres installés hors des frontières de l’Union européenne. La circulaire Retailleau qui complique les régularisations. Le pacte asile immigration qui inquiète les associations. Caroline ne mâche pas ses mots : « Nous sommes circonspects, notamment sur tout ce qui sera les prévisions de filtrage aux frontières qui nous font craindre des détentions de facto. »
Des détentions qui concerneraient même les enfants et les personnes vulnérables. Dans des conditions humaines préoccupantes. Ce n’est pas seulement JRS qui s’alarme, mais tout un réseau d’associations qui accompagnent depuis longtemps ces populations.
Alors, concrètement, qu’est-ce que ça donne en Loire-Atlantique ? Caroline évoque environ 90 personnes accueillies chaque semaine par la plateforme pour primo-arrivants. C’est moins que l’année dernière, où on tournait autour de 100 à 150 personnes. « Les flux diminuent, contrairement à ce qu’on pourrait laisser entendre », précise-t-elle.
Une diminution qui pourrait sembler positive. Sauf qu’elle reflète surtout l’efficacité des filtrages européens. Moins de gens arrivent, oui. Mais pas parce qu’il y aurait moins de guerres ou de persécutions dans le monde. Simplement parce que les portes se ferment.
À Nantes cette année, les opérations de police se sont intensifiées. Contrôles inopinés, gardes à vue pour refuser ou retirer des titres de séjour, même à des étrangers en situation régulière. La préfecture demande des informations, traque, surveille. « Ça nous inquiète », confie Caroline. « Au-delà de la colère, il y a beaucoup de tristesse. »
Tristesse pour ces personnes déjà fragilisées, qui se retrouvent criminalisées. Des gens qui travaillent, qui sont installés depuis longtemps sur le territoire. « On voit bien les questions qui se posent sur les régularisations, qui les préoccupent. » L’angoisse monte. Les bâtons dans les roues se multiplient.
L’État prévoit d’ouvrir un centre de rétention administrative en 2028. Plusieurs associations catholiques, dont JRS, s’y opposent fermement. Pourquoi ? « C’est d’abord dire oui à la dignité humaine », explique Caroline. Au-delà des questions d’efficacité et de moyens déployés pour la construction, ce sont les conditions d’accueil qui préoccupent.
Avec des partenaires comme Lutte et Contemplation, la Pastorale des migrants, la Diaconie et le Secours catholique, JRS organise des cercles de silence. Une initiative inspirée de la tradition franciscaine des années 70. Le principe ? Se rassembler en cercle sur la place publique et tenir le silence pendant une heure. « Le silence, c’est un cri », affirme Caroline. « Parfois il porte une voix puissante. »
Tous les premiers jeudis du mois, place Royale à Nantes, ces militants se tiennent debout. Silencieux. Avec dans le cœur et dans les yeux les visages de ceux qu’ils accompagnent. « C’est au nom de ces personnes qui ne peuvent pas porter leur voix que nous sommes là. »
Chez les catholiques, les avis divergent. Certains jugent irresponsable d’accueillir sans condition. D’autres estiment que refuser l’accueil, c’est passer à côté du message évangélique. Que dit vraiment la Bible ? Caroline cite les Hébreux : « Ne négligez pas l’hospitalité, car certains en l’exerçant sans le savoir ont accueilli des anges. »
Pas question d’angélisme ici. Mais une conviction profonde : « C’est l’expérience de la rencontre qui fait tomber les barrières de la peur. » À JRS, on croit dur comme fer que les choses bougent par la rencontre. À l’échelle personnelle d’abord. Puis plus largement.
Cette année marque les dix ans de l’antenne nantaise de JRS. Une décennie d’accompagnement. De démarches administratives. D’apprentissage du français. De soutien scolaire. « C’était très joyeux de fêter avec les personnes qu’on a accueillies il y a dix ans », se souvient Caroline. Certains ont obtenu un titre de séjour stable. Leur situation s’est améliorée. Mais ça prend du temps. Un temps fou.
L’association propose trois ateliers de français, des ateliers numériques essentiels pour les démarches administratives. « Les personnes peuvent perdre leurs droits très rapidement », précise Caroline. Il y a aussi des cercles de chant, bientôt un atelier d’écriture. Pour que les personnes migrantes puissent raconter autre chose que les récits de violence qu’on entend trop souvent. Parler de ce qu’elles aiment, de ce qui les fait rêver, de leurs colères aussi.
Au cœur de la mission, il y a le programme Welcome. Des familles qui ouvrent leurs portes pour un temps donné. L’hébergement citoyen comme acte d’hospitalité concrète. « Il y a plein de manières de vivre l’hospitalité », rappelle Caroline.
Face à une situation qui s’envenime, comment garder espoir ? Caroline choisit l’empathie joyeuse. Celle des retrouvailles avec des personnes accompagnées il y a des années. Celle des petites victoires administratives. Celle des ateliers où il fait bon être ensemble. L’espoir se niche dans ces moments-là. Dans la rencontre. Dans le silence partagé place Royale.
Plusieurs dizaines d’associations se mobilisent aujourd’hui à Nantes. Rendez-vous à 17h30 au miroir d’eau pour une manifestation intitulée « Née ici ou venue d’ailleurs, pour une France de liberté, d’égalité et de solidarité ».