Un mois pour célébrer l’invisible
Le mois de l’économie sociale et solidaire, vous connaissez ? Pas vraiment ? C’est normal. Pourtant, cette initiative nationale coordonnée par les chambres régionales de l’ESS existe depuis 18 ans maintenant. L’idée ? Mettre en lumière ces structures qui façonnent notre quotidien sans qu’on s’en rende toujours compte.
En Pays de la Loire, on ne fait pas les choses à moitié : près de 200 événements ont été organisés entre fin novembre et début décembre. Des ateliers, des ciné-débats, des portes ouvertes, des forums… La Loire-Atlantique tire particulièrement son épingle du jeu avec 125 événements sur les 200 régionaux. « C’est une région assez dynamique, » confirme Anne Le Pochat. Et pour cause : on parle quand même de la deuxième région française en termes d’économie sociale et solidaire.
Plus qu’un secteur, un pilier économique
Les chiffres donnent le vertige. L’ESS représente plus de 13% des emplois dans la région. Oui, vous avez bien lu : 13%. On est loin de l’image d’Épinal de la petite association de quartier qui survit grâce aux cotisations et aux bénévoles. « Ça concerne tous les domaines, tous les secteurs d’activité, » explique Anne Le Pochat.
Bien sûr, certains secteurs concentrent davantage d’emplois : le sanitaire et social en tête de liste, suivi par le sport, les loisirs, la culture. Mais il y a aussi des coopératives dans l’industrie, l’agroalimentaire, sans oublier le secteur bancaire avec les banques coopératives. Bref, l’ESS est partout. Dans votre salle de sport, votre centre de santé, votre épicerie solidaire, votre banque peut-être.
Près de 200 000 emplois dans la région. Ça fait réfléchir, non ?
Quand les robinets se ferment
Mais cette année, impossible de faire la fête l’esprit tranquille. Le projet de loi de finances présenté par le Premier ministre prévoit une baisse de 54% des crédits alloués à l’ESS. Oui, 54%. Pas une coquille. « C’est un vrai risque, » lâche Anne Le Pochat, avec une prudence compréhensible. Entre la version initiale et ce qui sera finalement voté après les navettes parlementaires, difficile de savoir où le curseur s’arrêtera.
Ce qui est certain, c’est que les premières estimations font froid dans le dos. Plus de 6 500 emplois pourraient être détruits dans la région. « C’est un plan social un peu diffus, » résume Anne Le Pochat. Pas de fermeture spectaculaire d’une grosse usine avec ses 200 licenciements d’un coup. Non, plutôt un emploi par-ci, deux par-là. Une association qui ferme ses portes ici, une autre qui réduit la voilure là-bas.
Et ça a déjà commencé. L’année dernière, les coupes ont touché fort. L’insertion, le sport, la culture… Cette dernière a été particulièrement malmenée en région. Le pôle du livre, par exemple, a licencié l’ensemble de ses salariés. Terminé en juin. Plus que des bénévoles aujourd’hui. D’autres structures dans le droit des femmes ont dû arrêter des permanences dans les territoires éloignés.
Le double effet
Parce qu’évidemment, ça ne s’arrête pas là. Les budgets nationaux, c’est une chose. Mais les collectivités sont aussi des financeurs importants de l’ESS. Et devinez quoi ? Leurs budgets baissent aussi. Effet domino garanti.
La présidente de région Christelle Morençais a procédé à des coupes budgétaires considérables sur le monde de la culture et le monde associatif. « On a pas trop connaissance » du nouveau budget régional en cours de débat, reconnaît Anne Le Pochat, mais les signaux ne sont pas au vert. Les pôles culturels – livre, musiques actuelles, patrimoine, arts visuels – ont énormément licencié. « Il y a vraiment des impacts très très importants sur l’ensemble du territoire. »
Le plus compliqué ? Évaluer l’ampleur réelle du désastre. Parce que c’est diffus, éparpillé, insidieux.
L’absurdité d’un paradoxe
Tenez-vous bien : l’ESS reçoit 7% des aides aux entreprises alors qu’elle représente 13 à 17% de l’emploi privé. Vous suivez ? On coupe dans ce qui coûte le moins. « Je sais pas l’expliquer, » avoue franchement Anne Le Pochat.
Heureusement, un rapport de la Cour des comptes – suite à une saisie citoyenne, s’il vous plaît – est venu objectiver la situation. Parce que dans l’imaginaire collectif, les associations sont « très subventionnées » et « ne rapportent rien ». Un discours véhiculé depuis des années qui ne correspond pas à la réalité. Beaucoup de structures fonctionnent d’ailleurs sans subvention. Et celles qui en reçoivent assurent souvent des activités que l’État ne fait plus.
« C’est incompréhensible aujourd’hui cette attaque sur l’ESS qu’on subit à tous les niveaux, » soupire Anne Le Pochat.
Déserts médicaux : la prophétie qui s’accomplit
On parle beaucoup de déserts médicaux. On s’en inquiète, on fait des rapports, on organise des tables rondes. Et pendant ce temps, on coupe les vivres aux acteurs de l’ESS qui créent des centres de santé dans les territoires abandonnés.
« S’il n’y a plus ces acteurs là sur ces territoires là, ça va amener vraiment des problèmes, » prévient Anne Le Pochat. C’est « un peu court-termiste comme vue » : on fait des économies aujourd’hui en coupant, coupant, coupant. Mais qu’est-ce que ça donnera dans quelques années ? Plus d’associations, plus de centres de santé, plus de créneaux de sport ou de culture pour les enfants…
« Quelle société on veut demain ? » La question mérite d’être posée.
L’environnement aussi dans la tourmente
Pendant que se déroule la COP 30 – qui patine, soit dit en passant – les acteurs de l’ESS engagés dans la transition écologique trinquent aussi. Pourtant, ils sont historiquement impliqués dans ces questions. La semaine dernière encore, un réseau régional des acteurs du réemploi solidaire a été lancé.
Les ressourceries, le réseau Envie… Sur l’économie circulaire, les acteurs de l’ESS sont positionnés depuis des années. Sauf qu’aujourd’hui, ils se retrouvent concurrencés par des acteurs lucratifs qui ont flairé le bon filon. « Il y a vraiment besoin de défendre les modèles solidaires de la transition écologique. »
Les associations d’éducation à l’environnement et au développement durable sont elles aussi très impactées par les coupes, notamment régionales. « C’est un peu inquiétant parce qu’on sait bien qu’aujourd’hui il faut continuer d’y aller, » insiste Anne Le Pochat.
Et maintenant, on fait quoi ?
Alors concrètement, comment on aide ? Comment on rejoint le mouvement ? « C’est de donner à voir, expliquer, » répond Anne Le Pochat. Parce que l’économie sociale et solidaire, reconnaissons-le, c’est parfois un peu compliqué à appréhender. Des structures très différentes, de tailles variables, dans tous les secteurs…
Le mouvement associatif a lancé en octobre une initiative baptisée « Ça ne tient plus », appelant les associations à manifester un samedi. Certains évoquent même l’idée d’arrêter les activités pendant un jour ou deux, histoire que les gens se rendent compte de ce que l’ESS leur apporte au quotidien.
Parce que oui, on est en lien avec des acteurs de l’ESS quotidiennement. La santé, l’aide à domicile, la culture, les loisirs, le sport… C’est là, sous nos yeux, dans nos vies. Invisible et pourtant essentiel.
Pendant le mois de novembre, les 200 événements organisés en Pays de la Loire sont ouverts à tous. L’occasion de découvrir, de comprendre, de soutenir. Avant qu’il ne soit trop tard.