247 voix pour, 234 contre. Mardi soir, le budget 2025 de la Sécurité sociale a franchi l’obstacle parlementaire avec une marge si étroite qu’on pourrait presque entendre le soupir de soulagement collectif résonner jusqu’à Matignon.
Sébastien Lecornu doit dire merci. Merci au Parti socialiste, dont les voix ont permis ce sauvetage in extremis. Un choix qui fait grincer pas mal de dents à gauche – La France insoumise n’hésite d’ailleurs pas à parler de « trahison ». Mais voilà, en politique comme ailleurs, il faut parfois choisir entre ses principes absolus et la réalité du terrain.
Fabrice Roussel, député socialiste de la cinquième circonscription de Loire-Atlantique, assume ce vote sans détour : « Ce budget n’est pas idéal, ce n’est pas celui qu’on aurait présenté si on avait été aux responsabilités. » Une franchise qui détonne dans le paysage politique actuel, où chacun défend généralement ses choix comme s’ils étaient gravés dans le marbre depuis la nuit des temps.
Entre pragmatisme et compromis douloureux
Alors pourquoi voter pour un texte qu’on juge imparfait ? La réponse tient en quelques mots : la suspension de la réforme des retraites. Cette mesure phare représente plusieurs mois de répit pour des centaines de milliers de personnes. Pas une victoire totale, certes. Plutôt une bataille gagnée dans une guerre qui continue.
« On s’est mobilisé pour que cette réforme soit annulée, » rappelle Fabrice Roussel. « Même si on n’a pas obtenu l’annulation, on a obtenu la suspension jusqu’aux prochaines présidentielles. » Un demi-succès ? Peut-être. Mais pour ceux qui auraient dû partir plus tard à la retraite dès janvier prochain, c’est déjà ça de pris.
Le package négocié par les socialistes comprend aussi l’indexation des pensions et des minima sociaux sur l’inflation. Dans un contexte où le pouvoir d’achat reste la préoccupation numéro un des Français, ce n’est pas rien. Sans oublier l’augmentation du budget des hôpitaux et des EHPAD – on y reviendra.
Le grand écart budgétaire
Maintenant, parlons chiffres. Et accrochez-vous, parce que ça pique un peu. Le déficit prévisionnel initialement fixé à 17 milliards d’euros grimpe désormais à 21, voire 22 milliards. Certains murmurent déjà qu’on dépassera largement ces estimations. Comment en est-on arrivé là ?
« Il faut avoir conscience qu’on est dans un moment où il y a des besoins pour répondre aux questions de santé, » explique le député. Le vieillissement de la population n’arrange rien – ces besoins ne vont pas diminuer, bien au contraire. C’est mathématique, presque mécanique.
La question devient alors : qui va payer ? Les socialistes ont proposé d’augmenter la CSG sur les revenus financiers. Proposition rejetée. « Il n’y a pas qu’un sujet de dépenses, il y a aussi un niveau de recettes qu’il faut obtenir, » insiste Fabrice Roussel. Un débat qui promet de revenir sur la table dans les mois à venir.
Si le budget n’avait pas été voté, le déficit aurait explosé à 30 milliards. Voilà le dilemme : accepter un texte imparfait ou risquer une situation encore pire. Le genre de choix cornélien qui fait le quotidien de nos représentants, même si on préférerait parfois qu’ils nous proposent des solutions miracles.
L’hôpital en première ligne
Parlons maintenant de ce qui touche directement les Ligériens. Les hôpitaux et les EHPAD de Loire-Atlantique traversent une crise profonde – déserts médicaux, surcharge du 115, services débordés. On le vit au quotidien.
Le budget prévoit une hausse de 3% des dépenses d’assurance maladie, contre les 2% initialement proposés par le gouvernement. Un petit pourcent qui peut sembler dérisoire sur le papier, mais qui représente des millions d’euros sur le terrain. « Pour les EHPAD, il faut continuer de recruter du personnel pour assurer un encadrement de qualité, » souligne le député.
Concrètement, qu’est-ce que ça change pour vous ? Pas d’augmentation du reste à charge lors des consultations chez le dentiste. Pas de doublement des franchises médicales. Ce sont les personnes qui ont le plus besoin de soins – retraités, précaires – qui auraient été les plus touchées par ces mesures. Elles sont épargnées, pour l’instant.
Le jeu des mutuelles
Une question légitime se pose : ne risque-t-on pas de voir les cotisations des Ligériens augmenter pour compenser ces dépenses supplémentaires ? Fabrice Roussel se veut rassurant : « On a demandé un effort aux complémentaires et aux mutuelles. Les cotisations 2025 sont déjà votées, il n’y a pas de raison qu’il y ait un impact. »
Pour 2026 et au-delà, c’est une autre histoire. Le gouvernement souhaite négocier avec les mutuelles pour limiter les augmentations qui ont marqué ces dernières années. Une bataille dans la bataille, en quelque sorte.
D’où l’appel à la vigilance lancé par le député dans son communiqué. « On veut éviter qu’on se retrouve durant l’année 2025 à des évolutions contraires à l’état d’esprit qu’on a pu avoir dans ce budget. » En clair : attention aux mauvaises surprises en cours de route. L’année 2024 a vu un comité d’alerte prendre des décisions « assez douloureuses » – personne n’a envie de revivre ça.
Et maintenant, le budget de l’État
Le budget de la Sécurité sociale, c’est fait. Mais il reste encore le budget de l’État à adopter. Et là, les socialistes ne promettent rien du tout. « On n’en est pas là, on est très loin de voter ce texte tel qu’il est présenté, » prévient Fabrice Roussel.
Les débats au Sénat se terminent, une commission mixte paritaire se réunira dans la semaine. Les socialistes réclament un budget de justice sociale, des politiques offensives sur l’éducation, une contribution des plus hauts patrimoines et des grandes entreprises. « Le compte n’y est pas aujourd’hui pour nous. »
Message reçu : ce n’est pas parce qu’ils ont voté le budget de la Sécu qu’ils voteront automatiquement celui de l’État. Chaque texte sera jugé sur ses mérites propres. Une position qui pourrait compliquer sérieusement la tâche de Sébastien Lecornu dans les semaines à venir.
Le spectre du 49.3
Faudra-t-il ressortir le 49.3 ? « C’est la responsabilité du Premier ministre, » répond diplomatiquement le député. « Il a dit qu’il ne prendrait pas cette mesure. » Mais on connaît la chanson – combien de fois a-t-on entendu cette promesse avant qu’elle ne s’envole face aux réalités parlementaires ?
Pour l’instant, tout le monde joue le jeu de la construction budgétaire. « Ça fait quand même plusieurs années qu’on n’a pas pu avoir ce moment-là, » reconnaît Fabrice Roussel. Une normalité retrouvée, presque touchante dans sa banalité. Discuter, négocier, voter – le fonctionnement démocratique de base qu’on avait presque oublié.
Mais les exigences restent fortes, les lignes rouges clairement tracées. Les socialistes veulent des réponses aux besoins des services publics. Sans ça, pas de deal. La marge de manœuvre du gouvernement reste étroite, coincé entre les demandes de la gauche et les positions de la droite.
Les prochaines étapes
Le texte va maintenant repasser au Sénat avant un vote définitif à l’Assemblée d’ici la fin de l’année. Quelques semaines pour peaufiner, négocier, peut-être arracher quelques avancées supplémentaires. Ou pour voir tout s’effondrer si les équilibres fragiles se rompent.
Pour les Ligériens, l’enjeu reste concret : des hôpitaux qui fonctionnent, des retraites qui ne partent pas en fumée, un reste à charge qui n’explose pas. Des préoccupations du quotidien qui méritent mieux que des postures politiciennes.
La suspension de la réforme des retraites jusqu’aux présidentielles offre un répit, pas une solution définitive. Les prochaines élections seront décisives pour savoir si cette réforme controversée, imposée sans vote de l’Assemblée via le 49.3, sera définitivement enterrée ou remise sur la table.
En attendant, les députés socialistes marchent sur un fil. Accusés de trahison par leurs alliés de gauche, défendant leurs choix comme des actes de responsabilité face à leurs électeurs. Une position inconfortable, mais qui reflète peut-être la complexité du moment politique actuel – un moment où les majorités absolues n’existent plus et où chaque vote devient un exercice d’équilibrisme.