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L'invité(e) de la matinale

Jubilé des détenus : la visite inédite des évêques en prison avec Marie-Michelle Joannis, coordinatrice des aumôniers du diocèse de Nantes

micRadio Fidélitétoday11 décembre 2025 27

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    Jubilé des détenus : la visite inédite des évêques en prison avec Marie-Michelle Joannis, coordinatrice des aumôniers du diocèse de Nantes Radio Fidélité


Quand l’espérance franchit les barreaux : le jubilé 2025 s’invite en prison

Ce week-end, un événement exceptionnel se déroule derrière les murs épais des prisons du monde entier. Le pape François a souhaité ouvrir une porte sainte dans une prison, un geste symbolique qui résonne d’une manière particulièrement puissante auprès de ceux que la société a écartés. À Nantes comme ailleurs, des évêques vont franchir les portes des établissements pénitentiaires, et des détenus s’apprêtent à traverser des portes qu’ils ont fabriquées de leurs propres mains.

Un jubilé pas comme les autres

Franchir une porte d’espérance quand toutes les autres restent fermées. Le paradoxe saute aux yeux, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est exactement ce qui va se passer les 13 et 14 décembre dans une centaine d’établissements pénitentiaires français. Le jubilé 2025, ce grand rendez-vous spirituel de l’Église catholique, ne se limite pas aux cathédrales et aux lieux saints traditionnels. Cette année, il pénètre dans l’univers carcéral, là où le quotidien se mesure en mètres carrés et en portes verrouillées.

Marie-Michèle Johannis connaît bien cet univers. Coordinatrice des aumôniers du diocèse de Nantes, elle pilote une équipe de 108 aumôniers qui interviennent chaque semaine, chaque dimanche, auprès des personnes détenues. « Le monde carcéral est invisible pour la plupart des gens, » explique-t-elle d’emblée. Et c’est bien là tout l’enjeu : rendre visible ce qui reste caché, donner une voix à ceux qu’on n’entend plus.

Onze portes avant de rencontrer un homme

Avant de pouvoir échanger avec un détenu à la maison d’arrêt de Nantes, les aumôniers franchissent onze portes. Onze. Laissez ce chiffre vous imprégner un instant. Onze seuils, onze cliquetis de serrures, onze rappels que la liberté s’est envolée. Dans ce contexte, la notion de « porte sainte » prend une dimension presque vertigineuse.

Depuis un mois, les équipes d’aumônerie préparent ce jubilé avec les personnes détenues. Grâce à un livret fourni par les éditions Bayard et Prions en Église, les groupes de catéchèse du mercredi après-midi ont travaillé en quatre étapes. Qu’est-ce qu’un jubilé ? Qu’est-ce que cette histoire de porte symbolique ? Des questions qui peuvent sembler théoriques à l’extérieur, mais qui résonnent avec une acuité particulière entre quatre murs.

L’expérience n’est pas totalement nouvelle pour eux. Au début du Carême, ils avaient déjà ouvert une porte sainte à la maison d’arrêt de Nantes. Une porte habillée de tissus, de fleurs, de textes et de dessins, franchie en procession lors du premier dimanche de Carême. Un moment de grâce dans un lieu qui en manque cruellement.

Quand hommes et femmes se retrouvent pour célébrer

Le dimanche prochain, quelque chose d’exceptionnel va se produire. Monseigneur Percerou célébrera une messe à la maison d’arrêt, concélébrée avec plusieurs prêtres et diacres. Mais le plus remarquable ? Grâce à l’administration pénitentiaire – que Marie-Michèle tient à remercier – la messe sera mixte. Hommes et femmes détenus pourront suivre ensemble la célébration.

C’est rare. Très rare même. Dans l’univers carcéral, la séparation est la règle. Mais ce dimanche, une assemblée se formera, composée des détenus, de l’équipe d’aumônerie et d’invités de célébration venus de paroisses de Nantes et des environs. Une vraie communauté, le temps d’une messe.

Les détenus ne seront pas de simples spectateurs. Ils ont préparé des dessins, la prière universelle, des intentions personnelles. Ils ont même créé leur propre version du logo jubilaire, conservant les couleurs officielles mais y ajoutant leurs symboles : des arbres, des croix, des mains tendues à travers des barreaux. « Ils seront au cœur de notre célébration, » insiste Marie-Michèle. Pas en marge. Au cœur.

L’espérance, ce concept qui dépasse l’espoir

Parler d’espérance en prison, ça peut sembler déplacé, voire cruel. Et pourtant. « Ce n’est pas l’espoir d’une réponse rapide à leur jugement, » précise la coordinatrice. « C’est un concept beaucoup plus porteur sur la durée, un concept plus spirituel que matériel. »

Cette distinction est fondamentale. L’espoir, c’est attendre une date de sortie, un jugement favorable, une remise de peine. L’espérance, c’est autre chose. C’est croire qu’un chemin reste possible, même quand on vit à trois dans neuf mètres carrés avec des inconnus qu’on n’a pas choisis. C’est voir naître des gestes d’entraide et de fraternité malgré le bruit, la violence, les tensions quotidiennes.

« On voit sur eux des gestes d’entraide, des gestes de fraternité, » témoigne Marie-Michèle. « Ils baignent quand même dans l’espérance, sinon je pense qu’ils resteraient assis par terre, prostrés dans leurs cellules. »

La réalité des chiffres

Parlons franchement des conditions de détention. Un an après que les aumôniers aient dénoncé la surpopulation carcérale, la situation s’est-elle arrangée ? Pas vraiment. Elle ne s’est juste pas aggravée, ce qui constitue déjà presque une victoire.

À la maison d’arrêt de Nantes-Carquefou, le taux d’occupation atteint 185%. Oui, vous avez bien lu. Presque le double de la capacité prévue. Des cellules conçues pour deux personnes en accueillent trois, l’une dormant sur un matelas par terre. Au centre de détention, la situation est plus respirable avec 46% d’occupation. Quant à l’établissement pour mineurs d’Orvault – que beaucoup ignorent l’existence – il affiche 80%.

La surpopulation frappe surtout les maisons d’arrêt, là où arrivent les personnes suite à une infraction, un délit ou un crime. Le directeur ne peut refuser personne. Les juges envoient, la prison accueille. Résultat : des tensions, du bruit, des cris dans les couloirs et les cours de promenade.

Un espace de paix dans le chaos

Comment les détenus vivent-ils cette pression quotidienne ? « Certains nous disent que tout va bien, » rapporte Marie-Michèle avec un sourire dans la voix. « C’est quand même assez extraordinaire. » Pourquoi ce « tout va bien » malgré l’adversité ? Parce que les aumôniers ne sont pas de leur côté, mais à côté d’eux. Nuance subtile mais essentielle.

Ils viennent régulièrement. Ils reconnaissent chaque personne dans sa dignité, pas à travers les faits commis – qu’ils ignorent d’ailleurs la plupart du temps. Ils apportent « l’oxygène de l’extérieur, la fraîcheur de l’extérieur, l’espérance de l’Église » par leur simple présence bienveillante.

Le dimanche matin, dans la salle interculturelle, se forme une communauté chrétienne catholique fervente et recueillie. Quel contraste avec les couloirs où résonnent les bruits de portes, les cris, les appels entre codétenus ! Ce silence, ce recueillement deviennent alors un luxe inestimable.

Des chemins de conversion inattendus

Certains détenus n’ont jamais été baptisés. Pourtant, ils viennent fidèlement à la messe. Ils s’approchent de l’autel en croisant les mains sur les épaules, geste réservé à ceux qui ne peuvent communier. « On pense qu’on les accompagne sur ce chemin pendant un temps donné, » explique Marie-Michèle. Car en maison d’arrêt, tout est provisoire. Une fois jugés, les détenus partent vers un centre de détention ou sortent s’ils ont été condamnés à une courte peine.

La mission de l’aumônerie ? Accompagner pendant ce temps, tracer un chemin qui pourra peut-être se poursuivre à l’extérieur. D’ailleurs, tous les premiers samedis du mois, une messe à 18 heures à la basilique Saint-Nicolas rassemble d’anciens détenus et l’équipe d’aumônerie autour d’un moment convivial. Le lien ne se rompt pas aux portes de la prison.

Une parole prophétique nécessaire

Dans un contexte où l’opinion publique penche vers le tout-sécuritaire, où la prison apparaît comme LA solution, l’Église porte une parole différente. « Nous sommes là pour des personnes, non pas pour des faits, » martèle Marie-Michèle. « La justice humaine fait son travail, c’est vrai, mais nous on est là en tant que présence d’Église auprès de nos frères et de nos sœurs. »

Qu’ils croient en Dieu ou non. Qu’ils soient coupables ou innocents. La présence d’Église ne juge pas, elle accompagne. Elle apporte la paix dans un univers de bruit et de violence. « La direction nous le dit : on est là un peu pour la paix. On est donc porteur de paix, » conclut-elle.

Comment soutenir cette mission ?

Ce dimanche, dans toutes les paroisses de Loire-Atlantique, il faudra mentionner ce jubilé des détenus. Prier pour ces hommes et ces femmes qui espèrent être portés par une communauté. Mais la prière ne suffit pas toujours. Des catholiques peuvent aussi rejoindre les célébrations du dimanche matin en prison, pas forcément comme aumôniers, mais comme « invités de célébration ».

Il suffit d’envoyer un mail à la boîte aux lettres de l’aumônerie. Un échange permettra de voir comment chacun peut s’engager concrètement aux côtés des personnes détenues. Parce qu’au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : être aux côtés, pas au-dessus, pas en retrait. Juste là, présent.

Ce week-end, pendant que le monde célèbre le jubilé 2025, des portes symboliques s’ouvriront dans les prisons, rappelant que l’espérance n’a pas de murs et que la dignité humaine ne se mesure pas en mètres carrés de cellule.


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